Décodage du rabais de $440 million pour les mines de Glencore en RDC

Au début du mois de novembre 2017, les Paradise Papers – une fuite massive de documents confidentiels – ont révélé qu’une société actuellement exploitée par Glencore, la multinationale de négoce suisse, a négocié une prime en 2008 qui était de 440 millions de dollars de moins que ce qu’avait sollicité la société étatique Gécamines pour accéder un complexe minier en République démocratique du Congo.[i]Cette prime – ou « pas de porte »–était quatre fois inférieure au taux que pratiquement tous les autres investisseurs avaient accepté pour leur accès aux réserves de cuivre du Congo.[ii]

Le Congo est l’un des pays les plus pauvres du monde ; à l’époque, 440 millions de dollars représentaient plus que l’ensemble du budget de l’éducation du Congo.[iii] Les documents divulgués dans les Paradise Papers suggèrent que le rabais a été obtenu avec l’aide de l’homme d’affaires israélien controversé Dan Gertler, un proche ami du président congolais Joseph Kabila. Plusieurs organisations et gouvernements ont enquêté sur de graves allégations de corruption dans lesquelles Gertler aurait été impliqué, selon Bloomberg News et d’autres médias.[iv] Gertler et sa holding ont systématiquement nié toute éventuelle infraction.

Glencore a répondu aux journalistes couvrant les Paradise Papers que le montant du pas de porte était “essentiellement correct”, et que les termes y relatifs étaient fixés avant l’implication de Gertler dans les négociations.

Resource Matters a analysé la réponse de Glencore et arrive à une conclusion différente. Le rabais est réel : la société en question, Kamoto Copper Company, n’a payé un pas de porte de 140 millions de dollars plutôt que les 585 millions de dollars initialement demandés par Gécamines. Ceci est dû à plusieurs facteurs sous-jacents.

Le plus important concerne la mine à ciel ouvert de KOV, un gisement de cuivre-cobalt extrêmement riche et l’un des premiers que Gertler et ses associés ont acquis dans l’arc de cuivre du Congo.[v] Des groupes de la société civile, des avocats et des membres du parlement congolais avaient critiqué le contrat de KOV lors des premières négociations en 2004 et 2005, affirmant que l’accord n’octroyait pas une part équitable des recettes à la partie congolaise.[vi]

Les autorités congolaises avaient par la suite décidé de renégocier le contrat ainsi que des douzaines d’autres accords miniers entre 2007 et 2009, dans le but d’harmoniser les compensations pour les mines octroyés par les entreprises étatiques congolaises aux investisseurs privés.[vii] L’une de ces compensations à standardiser était le pas de porte : les investisseurs étaient appelés à payer un pas de porte de $35 par tonne de réserves de cuivre transférée au partenariat.[viii] Ce standard a été accepté par la grande majorité des investisseurs : en moyenne, ils se sont engagés à payer environ $33 la tonne de réserves de cuivre.[ix]

Pour KOV, le pas de porte aurait dû être de 240 millions de dollars, selon ce standard en vigueur dans le secteur.[x] Toutefois, les documents contractuels montrent que les investisseurs n’ont payé que 5 millions de dollars, soit 48 fois moins que le taux applicable.[xi]L’exclusion de la mine à ciel ouvert KOV des calculs a réduit le pas de porte d’au moins 235 millions de dollars.

Deuxièmement, Glencore et les autres actionnaires de KCC ne paieront aucun pas de porte pour les 4 millions de tonnes de réserves de cuivre que Gécamines a promis de trouver pour KCC.[xii] Si ces réserves sont découvertes, cela aurait dû générer un pas de porte supplémentaire de 140 millions de dollars, un montant considérable que l’entreprise publique congolaise ne recevra donc plus.

Enfin, KCC semble s’être s’appuyé sur une définition différente des «réserves» comparé à la plupart des autres investisseurs pour calculer le pas de porte pour les réserves restantes,[xiii] ce qui a entraîné une réduction supplémentaire de 65 millions de dollars.

Glencore a déclaré à Resource Matters qu’elle ne fournirait pas d’autres commentaires sur cette question,[xiv] alors que le groupe Fleurette de Gertler n’a pas fourni des réponses substantielles aux questions.[xv] La Gécamines n’a pas réagi à la requête de commentaires.

Resource Matters appelle Glencore, le groupe Fleurette de Gertler ainsi que les d’autres investisseurs impliqués dans la négociation de ce pas de porte à clarifier pourquoi et comment ils ont eu droit à un rabais aussi important.

Ce résumé est disponible en français ici: Resource Matters – Rabais de $440 million pour les mines de Glencore en RDC – Novembre 2017 – Résumé FR

L’analyse complète est disponible en anglais ici: Resource Matters – The $440 million discount on Glencore’s DR Congo Mines – Novembre 2017

[i] Will Fitzgibbon et al, Room of Secrets reveals Glencore’s Mysteries, 5 november 2017, disponible sur https://www.icij.org/investigations/paradise-papers/room-of-secrets-reveals-mysteries-of-glencore/.

[ii] The Carter Center, Affaire d’Etat – Privatisation du Secteur de Cuivre au Congo, 3 november 2017, disponible sur www.congomines.org/rapport-gecamines [Ci-après “The Carter Center, Affaire d’Etat, 2017”].

[iii] DRC, Budget 2010 – Synthèse des dépenses par fonction, 5 février 2010, 2.

[iv] Voir par exemple Global Witness, Secret Sales, série de publications disponibles sur https://www.globalwitness.org/fr/campaigns/oil-gas-and-mining/congo-secret-sales/; Africa Progress Panel, Equity in Extractives: Stewarding Africa’s Natural Resources for All: Africa Progress Report 2013, 2013; Tom Wilson, SFO Probes Israeli Billionaire, Ex-ENRC Directors Over Congo, Bloomberg News, 5 décembre 2016; U.S. Securities and Exchange Commission, Administrative Proceedings File No. 3-17595 in the matter of Och-Ziff Capital Management Group LLC, OZ Management LP, Daniel S. Och and Joel M. Frank, 29 septembre 2016; United States of America vs. Och-Ziff Capital Management Group LLC, Deferred Prosecution Agreement Cr. No. 16-516, 29 septembre 2016. Tom Wilson, Franz Wild and Jesse Riseborough, Congo Backs Billionaire Gertler After Och-Ziff Allegations, 4 octobre 2016.

[v] Voir Convention de Joint-Venture entre la Générale des Carrières et des Mines et Global Enterprises Corporate Ltd telle que modifiée par l’accord intervenu entre parties signé à Lubumbashi le 13 décembre 2004 relative à l’exploitation de la mine à ciel ouvert de KOV et des gisements de Kananga et de Tilwezembe [Ci-après “Contrat DCP 2004”].

[vi] Voir par exemple Réseau de Lutte contre la Corruption et la Fraude, Bradage Criminel du Patrimoine Minier du Congo, Cas des Partenariats Kinross-Forrest et GEC avec la Gécamines, Janvier 2005, 7; Rights and Accountability in Development (RAID), Key Mining Contracts in Katanga–The Economic Argument for Renegotiation, Avril 2007.

[vii] Voir, de façon générale, Ministère des Mines de la République Démocratique du Congo, Termes de Réference pour la Renégociation et/ou la Résiliation des Contrats Miniers, Août 2008.

[viii] Voir The Carter Center, Affaire d’Etat, 2017, 33.

[ix] Voir The Carter Center, Affaire d’Etat, 2017, 33; voir pour une liste complète la note de bas de page 17 dans Resource Matters, Deciphering the $440 million Signing Bonus for Glencore’s DR Congo Mines, November 2017.

[x] Commission de Revisitation des contrats miniers, Rapport des Travaux, Novembre 2007 [Ci-après‘Rapport Revisitation 2007’], 56 (6.881.931 tonnes of geological copper reserves). En multipliant ce chiffre par $35, on arrive à un pas de porte de $240,87 millions de dollars.

[xi] Convention de Joint-Venture Amendée, Consolidée et Réformulée entre la Générale des Carrières et des Mines et KFL Limited et Global Enterprises Limited relative à l’exploitation, en particulier, des mines de Kamoto, de Mashamba Est, de KOV, de Tilwezembe, de Kananga, de T17 et à la location des installations et des équipements dont le concentrateur de Kamoto (KTC) et les usines hydrométallurgiques et d’électro-raffinage de Luilu, Gécamines contract nr. 1014/19238/SG/GC/2009, [Ci-après “Convention Amendée KCC 2009”], Art. 6.2.10 (i) and (ii). Le contrat mentionne explicitement le partage du pas de porte total de $140 millions entre $5 millions pour GEC (actionnaire de DCP) et $135 millions pour KFL (acctionnaire de KCC avant fusion). Ce partage est confirmé dans les documents des Paradise Papers (Katanga Mining Limited, Board of Directors minutes, 13 mars 2009)

[xii] Convention Amendée KCC 2009, Art. 6.2.11. Le nombre de tonnes apparait dans l’article Article 6.14.1 de la même convention.

[xiii] Katanga Mining, Katanga Announces Agreement on Transfer of Mashamba West and Dikuluwe Deposits, News Release Nr. 04/2008, February 8, 2008 [Hereinafter ‘Katanga, DIMA Release Announcement, 2008’]. Ce communiqué fait référence au fait que les réserves sont définies selon l’étude de faisaibilité, qui reprend des normes plus strictes que les ‘réserves géologiques’ sur lesquelles se basait généralement la Gécamines.

[xiv] Charles Watenphul pour le compte de Glencore, réponse par email aux questions de Resource Matters datée du 22 novembre 2017.

[xv] Giles Read pour le compte de Fleurette, réponse par email aux questions de Resource Matters datée du 20 novembre 2017.


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